La prudence et Aristote

« Fais attention, sois prudent »


Hier encore, ces mots simples résonnaient comme des conseils trop appuyés, répétitifs et souvent inaudibles. Les parents adressaient aux enfants ces recommandations et les enfants, comme souvent, ne les écoutaient pas. Hier encore, donc, nous vivions sans le savoir, le temps de l’insouciance et de la légèreté. Un temps où vivre prudemment était un renoncement à une vie audacieuse, à une vie grande ouverte.


Depuis le 17 mars, tout a changé, nous sommes confinés.


La prudence, la Phronêsis, première des quatre vertus, défile dans les systèmes de pensées antiques depuis Héraclite, mais c’est Aristote dans l’Ethique à Nicomaque qui en donne la définition la plus élaborée et, peut-être, la plus éclairante.


Une façon dont nous pourrions appréhender la nature de la prudence c’est de considérer quelles sont les personnes que nous appelons prudentes. Le propre d’un homme prudent c’est d’être capable de délibérer correctement sur ce qui est bon et avantageux pour lui-même

Aristote, Ethique à Nicomaque, livre VI, chapitre 5

Selon Aristote, il nous faut observer les gens prudents pour comprendre la nature même de la Prudence. Les gens prudents sont donc les hommes d’expériences qui ont lentement appris les bons gestes. Ils sont aussi ceux qui réfléchissent à leurs actes.


Loin d’être une improvisation, la Phronêsis est une invitation à l’agir dans la sphère humaine, une éthique à hauteur d’hommes et à portée de tous. L’homme prudent est donc la norme, la référence ultime qui sait saisir le moment opportun ( Kairos ) pour agir en fonction de la situation qui se présente à lui.


Envisagée dans son action ( Praxis ), la Prudence a une fonction et une utilité collective. Ainsi le confinement ne nous condamne pas à l’inaction. En ces temps de  » guerre  » où nous livrons tous bataille face à un ennemi invisible, comment devons-nous agir ? Et comment résister ?


En étant vertueux, en étant prudents.


Ainsi, l’intelligence pratique engendre la Phronêsis qui modifie la relation entre les hommes et transforme les comportements. La Prudence, sagesse de l’action, a pour conséquence le courage et pour adversaire, la peur.


Il envisage ce qu’il est possible de faire et face à l’incertitude du monde à venir, il agit.


La prudence s’expérimente. Ainsi, l’éthique d’Aristote ne cherche pas à définir ce qui est bien ou mal mais à faire de nous des êtres vertueux. Les normes de la vertu se trouvent dans nos agissements.


La Phronêsis est une vertu parce qu’elle touche l’intelligence et l’action pratiques qui s’inscrivent dans un monde d’incertitude.


Demain est chancelant, inconnu et les projections ne sont que théoriques. Nul ne sait vraiment. En renonçant aujourd’hui à une vie normale, nous avons le pouvoir d’agir vertueusement et, l’air de rien, c’est ce que nous faisons.


Nous devenons le principe même de l’action.


L’homme Aristotélicien est un  » Animal Politique «  et la Phronêsis s’adresse à la part universelle et non privée de chaque citoyen. Nous nous protégeons, mais aussi, nous protégeons les autres; les proches, les anciens, les soignants, les employés de supermarché… Tous.


Article rédigé par Sophie Geoffrion

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