Le confinement et Foucault

Michel Foucault dans Les Anormaux, identifie sous les mesures de confinement que l’Âge classique met en place pour lutter contre la peste, une nouvelle forme de gouvernement, qu’il appelle l’« organisation disciplinaire ».

Les épidémies convoquent des stratégies différentes de protection : si face à la lèpre, le pouvoir institue une césure entre la communauté et les autres, que ce soit par l’exclusion des lépreux hors des murs, vers ces territoires indéfinis, flous, nébuleux, dont l’extériorité garantit les frontières de la cité ; ou par l’enfermement dans les hôpitaux généraux ; une distinction spatiale organise la disqualification des Lépreux, renvoyés dans les limbes.

Mais face à la peste, la mise sous contrôle est toute autre, et la forme qu’elle inaugure – celle de l’inclusion – va se substituer au XVIIIe siècle à celle de l’exclusion.

En effet, pour lutter contre la peste, les mises en quarantaine se multiplient : quadrillage de la ville, partagée en districts, partagés en quartiers, partagés en rues ; dans chaque rue des surveillants, dans chaque quartier des inspecteurs, dans chaque district des responsables de districts, et dans la ville un gouvernement aux pouvoirs étendus. L’espace est analysé, connu, retranscrit, contrôlé, et ce, en continu. Alors que la lèpre appelle la distance, la peste implique une approche de plus en plus fine de la société, jusqu’à la connaissance du moindre individu, en fonction de la norme de santé.

De là naît « le rêve politique » de la peste, pouvoir exhaustif, sans obstacle, entièrement transparent à son objet :


La peste, c’est le moment où le quadrillage d’une population se fait jusqu’à son point extrême, où rien des communications dangereuses, des communautés confuses, des contacts interdits ne peut plus se produire. Le moment de la peste, c’est celui du quadrillage exhaustif d’une population par un pouvoir politique, dont les ramifications capillaires atteignent sans arrêt le grain des individus eux-mêmes, leur temps, leur habitat, leur localisation, leur corps. 


Le savoir devient l’organe du pouvoir qui, au lieu d’exclure, observe. Ces nouvelles techniques du pouvoir, par les instruments de l’analyse, de la collecte, du traitement des données, et de la surveillance, sont transférés à des institutions qui vont de l’administration à la famille.

La politique de la surveillance est née.

Mais au profit de quoi ? Demande Foucault. Quelle est la finalité de ce dispositif ? A cela, et empruntant à son maître Canguilhem, il répond la « normalisation ».

Or la norme se définit


non pas du tout comme une loi naturelle, mais par le rôle d’exigence et de coercition qu’elle est capable d’exercer par rapport aux domaines auxquels elle s’applique. La norme est porteuse, par conséquent, d’une prétention de pouvoir. La norme, ce n’est pas simplement, ce n’est même pas un principe d’intelligibilité ; c’est un élément à partir duquel un certain exercice du pouvoir se trouve fondé et légitimé. 


Quand on sait que les données personnelles seront bientôt utilisées pour « faire la guerre » au virus, on peut considérer qu’une épidémie est en effet la matrice essentielle de l’organisation disciplinaire…


Article rédigé par Mazarine Pingeot

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