René Descartes, en 1637, dans un siècle où règne le scepticisme, se met en quête d’un critère du vrai qui permette de sortir la philosophie de la crise qu’elle traverse.
Les découvertes de Copernic puis Galilée déstabilisent l’homme : l’héliocentrisme révèle que la terre et son habitant privilégié ne sont plus au centre du monde, l’infinité du monde, que Descartes prouve dans son traité du même nom, mais qu’il ne publie pas sous peine d’être condamné par l’Église, retire à l’homme ses repères, il n’est plus que ce grain de poussière dont Pascal parle avec tragique.
A quoi se rattacher, quand le monde n’est plus ce qui distribue les places dans une hiérarchie ontologique, quand la société médiévale fondée sur les corporations et les guildes s’effondre devant l’avènement de l’individu ? Qu’est-ce qui pourra nous permettre de nous orienter dans la pensée, pour reprendre le titre que Kant donnera un siècle plus tard à l’un de ses écrits ?
Tel est l’enjeu pour Descartes : trouver un point fixe, le « point d’Archimède », à partir duquel reconstruire l’édifice des sciences, mais aussi « marcher avec assurance en cette vie ». Pour cela, il entreprend un véritable périple : s’il va d’abord chercher des réponses dans les livres des Anciens, il se tourne ensuite, déçu, vers le grand livre du monde.
A la rencontre des autres mœurs, il découvre que les vérités s’égalisent, que la relativité sort plus puissante encore, et que les autres, que ce soit les livres, ou les autres hommes, ne sont pas à même de lui fournir un guide pour voir clair en ses actions.
Bien au contraire ; il y a tant d’opinions différentes, tant de livres de philosophie, que les collectionner tous ne fait qu’avaliser la position sceptique, à savoir qu’il n’y a pas de certitude. Ainsi, après avoir voyagé, lu, cherché à l’extérieur ce guide, il décide de … se confiner :
Mais, après que j’eus employé quelques années à étudier ainsi dans le livre du monde, et à tâcher d’acquérir quelque expérience, je pris un jour la résolution d’étudier en moi-même, et d’employer toutes les forces de mon esprit à choisir les chemins que je devais suivre. Ce qui me réussit beaucoup mieux, ce me semble, que si je ne me fusse jamais éloigné ni de mon pays ni de mes livres.
Discours de la méthode, Descartes, première partie
La deuxième partie du Discours de la méthode s’ouvre sur la description de ce confinement :
J’étais alors en Allemagne, où l’occasion des guerres qui n’y sont pas encore finies m’avait appelé ; et, comme je retournais du couronnement de l’empereur vers l’armée, le commencement de l’hiver m’a arrêté en un quartier où, ne trouvant aucune conversation qui me divertît, et n’ayant d’ailleurs, par bonheur, aucuns soins ni passions qui me troublassent, je demeurais tout le jour enfermé seul dans un poêle.
Discours de la méthode, Descartes
Le voici enfermé dans cette pièce où il découvrira, en faisant retour sur lui-même, le fameux cogito.
Quatre années plus tard, il écrira les Méditations métaphysiques, qui déroulent la méthode du doute jusqu’à ce que surgisse ce « je suis, j’existe », le point d’Archimède tant cherché, la nouvelle assise de la philosophie qui la sort de la crise : si toutes les certitudes se sont effondrées, il y en a pourtant une, c’est que moi qui pense, je suis. L’univers est peut-être un champ infini sans être, où aucune orientation ne me précède, mais moi qui le pense, je peux y dessiner mon chemin. Le sujet est né. Mais il est né d’une méditation qui n’a pu se tenir que dans une retraite stricte, où rien ne pouvait le distraire. S’engager dans le chemin de la pensée, de cette expérience abyssale qu’il mène jusqu’au bord de la folie, a nécessité ce retrait hors du monde.
Article rédigé par Mazarine Pingeot